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Les carottes sont cuites



"Mon cher Jean,


Je suis là, comme une demeurée devant une feuille de papier avec une plume vieille comme le monde entre les mains, assise sur une chaise à bascule devant la cheminée.


Je ne sais pas si vous recevrez cette lettre.


Je ne sais même pas si l'adresse à laquelle je l'enverrai est toujours la votre vu que je n'ai plus de nouvelles depuis la fin de la guerre.



J'ai reçu une lettre.


Une seule.



Que me dit-on ?


Les carottes sont cuites Louisette.


Une seule lettre de vous il y a quelques jours me disant que vous alliez bien, que vous étiez retourné vivre chez vos parents. Que vous étiez retourné vivre chez vos parents après la guerre alors que vous m’aviez promis en toute lucidité que vous reviendriez toujours vers moi ?!


Que vous n’attendriez que la fin de ce massacre avant même qu'il n'ait réellement commencé pour revenir près de moi ?!


«Je reviendrai toujours vers vous»


«j’attendrais la fin pour revenir près de vous. »


«je serai toujours là pour vous. »


Beaucoup de répétitions, de belles promesses pour… rien finalement.


Je me souviens de votre petit air amoureux, chantonnant ces mots insignifiants.


Vous souvenez-vous du moment, du lieu, de l'endroit où vous m'avez fait cette promesse?


Vous souvenez vous de ce petit quai dans cette petite gare à quelques kilomètres de notre maison de campagne?


« Ma Louisette, j’attendrai coûte que coûte que cette guerre prenne fin pour que nous puissions enfin vivre tous les deux. Je veux que nous ayons une fille ma Louisette. Je veux qu’elle ait la couleur de vos yeux mon amour. Attendez-moi ma Louisette, je serai là. »


Si théâtral…


Vous souvenez vous du dernier baiser que nous avons échangé quelques secondes à peine avant que le train ne vous emporte loin de moi?


Alors ne m'en voulez pas si désormais je vous hais.


Je vous déteste de m'avoir abandonnée, je vous déteste d'être parti à cette guerre, je vous déteste du plus profond de moi-même car je vous attends depuis nos dix-huit ans.


Je vous attends depuis tout ce temps, je vous attends depuis quatre ans maintenant. Bientôt cinq.


Alors pardonnez moi de vous détester pour cette unique lettre qui a répondu aux centaines que je vous ai envoyées et auxquelles vous n'avez jamais daigné répondre.


Pas un seul signe de vie, rien.


Uniquement mon amie Margaret qui me donnait de vos nouvelles par le biais de ses correspondances avec votre très cher ami Charles.


Leur fils a 6 ans maintenant. Vous en rendez-vous compte?


Je serai bientôt bonne à rester dans une vieille maison à faire la cuisine le ménage pour le restant de mes jours.


J'ai refusé la cour de bon nombre de riches hommes qui sont parvenus jusqu'au pallier de notre maison. De riches hommes aux langues de vipères.


J'ai refusé plusieurs mariages, plusieurs propositions, plusieurs déclarations d'amour, parce que mon amour, c'est vous. Enfin. «C’est»...


Alors pardonnez-moi de vous aimer autant et d'être déçue de voir que pour vous, je ne compte pas autant...



Dans le faible espoir de voir une lettre sur mon tapis de votre provenance,



Votre Louisette"



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Jun 24, 2023
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